L’irruption du citoyen dans la démocratie sanitaire

Regards croisés, Giovanna MARSICO – Ministère de la Santé et Michel GAGNEUX – ASIP Santé.

Photo de Giovanna MARSICO

Longtemps le système de santé s’est accommodé du patient et de ses proches. C’est la loi Kouchner de 2002 qui a inscrit la place du patient et de son consentement au cœur du parcours de soins. Cette ouverture, qui s’installe progressivement, coïncide avec un nouveau mouvement d’horizontalisation de la société. Comme en entreprise ou en politique, les individus relativisent désormais les hiérarchies et les statuts pour s’imposer comme des acteurs pleins et entiers de leur existence. La révolution numérique achève de leur donner les moyens d’y parvenir. Nous entrons dans une nouvelle ère numérique de la démocratie sanitaire. Ce surplus de démocratie est une nouvelle ouverture vers l’implication des patients, la prise en compte de leurs besoins et par conséquent, d’une meilleure efficience de notre système de santé.

L’État a d’ores et déjà élaboré les premiers outils numériques de la démocratie sanitaire. Le Service Public d’Information en Santé (SPIS) est né de la loi de modernisation du système de santé. La capacité des citoyens à faire des choix éclairés sur leur santé dépend de leur accès à une information de qualité, indépendante et transparente. Or, le développement des espaces numériques produit un foisonnement de données de qualité inégale parfois insuffisantes ou contradictoires, voire erronées. C’est pourquoi le SPIS a identifié des critères permettant d’assurer aux usagers un espace de confiance qui garantit la qualité de l’information proposée. Le premier des ces critères concerne l’accessibilité de l’information, parce que parfois le langage en est le premier  barrage. Le second touche au caractère actionnable de l’information, pour que chacun puisse faire des choix éclairés. Dans sa démarche d’offre d’information fiable, accessible et indépendante, le SPIS s’appuie sur sante.fr, un portail permettant d’accéder aux connaissances sur la santé et sur l’offre de soins de manière personnalisée. Le SPIS a vocation à lever les incohérences d’informations qui pourraient empêcher les usagers de s’impliquer dans leur parcours et de favoriser leur évaluation du système.

Autre initiative favorisant la démocratie sanitaire, l’ASIP Santé a créé pour le Ministère de la Santé un portail de signalement des événements sanitaires indésirables. Ce portail permet aux citoyens comme aux professionnels de santé de faire remonter des informations sur toute conséquence indésirable observée suite à l’utilisation de médicaments ou d’autres produits sanitaires. Les signalements sont ensuite transmis et analysés par des experts. Ce portail a pour vocation de redonner toute sa place à l’usager dans la détection des signaux faibles qui pourraient précéder une catastrophe sanitaire. Elle accélère la capacité des autorités à déceler ces signaux et à réagir. Le numérique offre cette nouvelle alliance avec les citoyens au service de la santé publique. On peut imaginer tout l’intérêt d’un tel dispositif face aux effets du Mediator cet été…. Les citoyens se sont d’ores et déjà largement saisis de ce portail, qui n’a pas manqué de faire remonter certains effets indésirables signalés au sujet de la nouvelle composition du Lévothyrox.

Le numérique est un levier de la démocratie sanitaire. Il peut atteindre les personnes les plus isolées géographiquement ou culturellement, et il favorise les démarches de co-construction.

Pour autant, la démocratie sanitaire n’est pas un acquis, elle est un processus. Il lui reste à s’approfondir et à s’installer dans la durée. Or, la loi ne suffit pas. La loi en établit le cadre, mais la réalité de la démocratie sanitaire relève d’abord d’une évolution culturelle profonde. Évolution des citoyens d’abord avec une éducation et une promotion de la santé prodiguées au plus tôt à l’école. On sait que l’information est l’un des déterminants de la santé et que certains comportements le sont aussi. D’autre part, allons plus loin dans la professionnalisation des représentants des usagers : la création de l’UNAASS est un signal fort dans les démarches de formation des usagers. Nous espérons que cela  puisse permettre aux militants de démultiplier leur impact. En ce qui concerne les patients experts, s’ils jouissaient d’un véritable statut, leur apport pourrait aider davantage encore le système à mieux prendre en compte le vécu et les choix des patients. La citoyenneté sanitaire reste à construire de manière plus systémique.

Évolution des professionnels de santé ensuite, avec l’introduction d’une formation à la décision partagée en soins de santé au cœur des cursus initiaux et tout au long de la vie. Les professionnels sont peu formés à l’écoute des valeurs et des besoins des patients. La décision partagée, c’est un modèle bien expérimenté dans d’autres systèmes de santé, visant à diminuer l’asymétrie d’information et de pouvoir entre le médecin et le patient. Par ce modèle, le médecin et le patient s’informent mutuellement, échangent puis collaborent pour parvenir à un accord, la décision aboutit à l’investissement des deux parties. La prise de décision partagée permet ainsi d’améliorer l’information du patient et de respecter son autonomie en l’impliquant dans les décisions de traitement. La démocratie sanitaire ne peut se faire sans les professionnels de santé. Or, l’irruption de l’individu et la tension sur les moyens et le temps de travail semblent parfois remettre en cause la dimension symbolique et la reconnaissance de leur engagement. Le sens de leur métier réside aussi dans l’accompagnement des patients et de leur famille qui traversent une phase difficile et subie de leur existence. Seules leur écoute, leur expérience et leurs connaissances peuvent aider les patients à conserver leur dignité et leur capacité à participer à leur santé.

Évolution du système institutionnel enfin, parce que la démocratie sanitaire ne peut être portée que par les usagers, elle doit s’affirmer dans la culture même de l’État, des collectivités et de l’ensemble des agences. La prochaine étape de cette construction collective consisterait à mettre en cohérence la vision de la démocratie sanitaire portée par tous les acteurs. Il est urgent que l’ensemble des institutions fasse le constat de l’irruption du citoyen au cœur du système de santé et que ce mouvement soit uniformément encouragé et accompagné. Dans les années qui viennent, on pourrait mesurer l’avancement de la démocratie d’un pays à la manière dont il traite l’individu et sa santé. Forte d’une e-santé structurée et d’une volonté universelle d’accès aux soins, la France a les moyens d’être à la hauteur de ses idéaux.

Regards croisés, Giovanna MARSICO – Ministère de la Santé et Michel GAGNEUX – ASIP Santé

Le 17 novembre 2017