L’histoire ne reviendra pas en arrière : depuis quelques années, les acteurs de la Santé ont élaboré de multiples systèmes d’information de Santé à vocation interne ou externe aux organisations. Et forte de l’évolution des usages, des attentes des patients et de l’intensification technologique du secteur, cette tendance ne peut que s’accélérer. Un nouvel écosystème numérique qui efface le temps et l’espace se dessine, imposant à des professionnels aux cultures et aux métiers parfois très différents une obligation absolue de communiquer et de partager les informations de Santé. Ces informations relèvent autant de la prise en charge des patients que de la nécessaire gestion administrative du système.
« Pour que cette communication dématérialisée soit possible, il faut que tous les acteurs et surtout, tous leurs systèmes d’information parlent le même langage. »
Ce langage s’impose en matière informatique et sémantique, c’est-à-dire pour les structures, la grammaire et les mots du métier. Prenons l’exemple d’un médecin traitant qui reçoit les nouvelles analyses d’un patient par la voie numérique. Si en recevant les résultats il peut les intégrer à son propre système, et potentiellement les comparer avec les analyses précédentes, même venant d’un autre laboratoire, le numérique est un progrès. Si en revanche, il doit imprimer le document et pointer à la main parce que son système ne peut le reconnaître ou parce que le cholestérol y est décrit différemment, alors il perd du temps au détriment de ses consultations mais aussi de son acuité à déceler et traiter les anomalies.
C’est là qu’intervient l’interopérabilité des systèmes d’information de Santé. On parle précisément d’un cadre d’interopérabilité. C’est un ensemble de référentiels qui s’applique à tous les acteurs de la e-santé de façon à ce que les données de Santé puissent efficacement être échangées et partagées de manière dématérialisée. Dans ce contexte, l’ASIP Santé a rassemblé et homogénéisé un Modèle des Objets de Santé. Un objet de Santé, c’est un hôpital, un EHPAD, une clinique ou même un médecin. Encore faut-il que tout le monde définisse un établissement médico-social de la même manière. En matière de systèmes numériques, les quiproquos introduisent trop souvent un risque pour la sécurité des données personnelles. Si l’on précise encore, il faut ajouter que le Modèle des Objets de Santé (MOS) s’articule lui-même sur une Nomenclature des Objets de Santé (NOS). Là encore, l’ASIP Santé a homogénéisé la définition de ce qu’est un service d’urgence, un compte-rendu opératoire ou encore un acte de radiologie.
Ce cadre d’interopérabilité est une condition nécessaire pour que, dans les systèmes d’information de l’hôpital, les comptes rendus puissent se distinguer des prescriptions ou des bons de sortie sans lisibilité. C’est le préalable d’une prise en charge cohérente et efficace du patient. Le cadre d’interopérabilité se décompose en 3 couches : les contenus d’abord de manière à classer ensemble les différents types d’informations médicales. Viennent ensuite les services : quelles modalités d’échanges et de partage doit-on mettre en place pour communiquer les contenus avec efficacité et en toute sécurité. La dernière couche concerne précisément le transport des données dont la réalité est à la fois virtuelle et pleinement matérielle.
Historiquement, l’ASIP Santé a élaboré une première version du cadre d’interopérabilité dans la perspective du Dossier Médical Personnel. Ce dossier supposait que des acteurs de Santé très hétérogènes puissent parler avec le même langage et les mêmes concepts. Depuis, les nouveaux usages ont créé de nouveaux besoins au sein du cadre d’interopérabilité. Que ce soient la télémédecine ou bien la structure des données de Santé à l’échelle individuelle pour votre généraliste et à l’échelle massive pour la médecine prédictive, les innovations ouvrent de nouvelles perspectives pour les patients. Elles enrichissent nos référentiels et mettent le cadre d’interopérabilité au défi de s’ajuster rapidement à la réalité des professionnels et des établissements. Pour améliorer ce processus permanent, l’ASIP Santé s’est dotée d’une gouvernance qui associe les acteurs du système de Santé aux détections et aux choix d’évolution du cadre d’interopérabilité. Y a-t-il un nouveau métier qui se distingue sur le terrain ? Le comité d’instruction analyse les usages réels pour déterminer si un ajout ou une modification du cadre d’interopérabilité est nécessaire. Ces changements s’appliquent ensuite à l’ensemble des acteurs de la e-Santé. Nous voyons les référentiels comme une matière vivante et centrée sur les usages.
Au-delà des règles, le premier objectif de l’ASIP Santé vise à permettre une appropriation de ce cadre par tous. Cela implique une simplification des contraintes et un alignement intrinsèque avec les standards européens voire mondiaux. La France est d’ailleurs moteur dans l’harmonisation et l’enrichissement des référentiels au niveau international, comme elle le fait au sein du projet Joint Action to support the EHealth Network (JAseHN). Cette appropriation permet aux acteurs de mutualiser leurs développements et d’adopter des systèmes universels à l’échelle nationale, voire internationale. Cela aboutit à de moindres budgets puisqu’il n’y a pas besoin de développements spécifiques ni de grands projets ultérieurs pour réussir à se connecter aux autres systèmes d’information.
Pourtant, il ne suffit pas de rendre un cadre obligatoire pour tous les acteurs. Il est dans l’ADN de notre Agence de comprendre les freins et les réticences humaines face à un corpus de règles, aussi nécessaires et cohérentes soient-elles. Les normes, même celles qui traduisent de nouveaux usages du terrain, ne se concrétisent que progressivement dans le quotidien du territoire français, au gré des outils qui sont élaborés.
Le défi qui nous attend, c’est le changement d’échelle de l’accompagnement des acteurs. Nous développons des capacités de services à la fois industrialisables et potentiellement sur-mesure. Nous travaillons à les rendre systématiques, à destination de tous les acteurs. Concrètement, il s’agit de concevoir des dispositifs d’e-learning, de conseil, ou encore de l’apport d’expertise bien au-delà du corps de doctrine établi. Par exemple, les pouvoirs publics ont donné des objectifs de partage de données au secteur de la biologie. Comment l’ensemble des supports logiciels des laboratoires peuvent échanger leurs données de manière homogène et structurées ? Il y a des réponses industrialisables, quand d’autres relèveront d’un groupe de laboratoire donné, d’un processus technologique plus avancé ou des modalités déjà établies auparavant dans un bassin.
L’ASIP Santé s’engage pour accélérer la traduction concrète du cadre d’interopérabilité au cœur des systèmes d’information de Santé. Cette accélération dépend de notre capacité à offrir un accompagnement et une expertise toujours plus précis, toujours plus rapides et toujours plus ancrés aux côtés des acteurs du système de Santé. Au-delà des lois et des logiciels, ce sont les individus qui peuvent construire la e-santé innovante et personnalisée à laquelle aspirent les Français. À l’État de s’engager dans une politique publique ambitieuse en matière de Santé numérique. À nous d’instiller autant de confiance et de proximité possibles pour que les hommes et les femmes du système de Santé puissent s’en emparer sur le terrain.
Michel Gagneux
Directeur de l’ASIP Santé
Le 11 juillet 2017