A l’instar de diverses enquêtes d’opinion récentes, les résultats du dernier « baromètre santé » publié par Odoxa nous indique que les Français, patients, aidants, professionnels de santé, plébiscitent les bénéfices attendus des outils numériques. La e-santé a cessé d’être un sujet de prospective ou d’expérimentation réservé à quelques pionniers. Elle devient une réalité dont les acteurs sont de plus en plus nombreux à vouloir profiter. Grâce au numérique, jamais les objectifs d’amélioration de notre système de santé n’ont été aussi bien servis par les technologies disponibles. La mise en œuvre d’une offre de soins intégrée et articulée autour des parcours de santé, l’évolution du citoyen-patient comme acteur éclairé et responsable de sa propre santé, le traitement intelligent à grande échelle des données de santé à des fins de santé publique, la conquête de l’efficience des organisations et des pratiques ne seront possibles que grâce à un recours généralisé aux outils de ce que l’on a désormais coutume d’appeler la santé numérique ou « e-santé ».
Le moteur premier de la santé numérique, c’est naturellement l’innovation. Qu’elle prenne la forme d’impressionnants systèmes d’informatique cognitive, de logiciels d’aide au diagnostic, de nouveaux services en ligne, comme ceux qui se déploient aujourd’hui à grande vitesse pour la prise de rendez-vous médicaux, ou de services de suivi numérique des patients à leur domicile, de moteurs de recherche conciliant puissance et éthique, l’innovation est foisonnante, multiple, dispersée. Le bouillonnement français en matière de e-santé est une promesse permanente de création de valeur. Mais souvent, cette promesse est à rude épreuve. La réalité d’un système de santé encore trop cloisonné, d’une maturité numérique souvent inégale, ou soumis à une réglementation trop rigide, peut constituer un obstacle à l’innovation. L’innovation appelle en effet une liberté d’initiatives et d’expérimentations qui interroge, et de plus en plus souvent bouscule les politiques publiques et leurs modes d’action traditionnels.
L’inventivité ne peut trouver le chemin d’un modèle sociétal et économique viable sans cet espace de confiance, fondé sur un cadre commun
Mais l’innovation ne peut se réduire à un affranchissement de toute règle. Sa diffusion à grande échelle, sa traduction en usages par le plus grand nombre, nécessitent un espace de confiance interconnecté, fondé sur des normes et des principes admis et partagés par tous les acteurs. L’inventivité ne peut trouver le chemin d’un modèle sociétal et économique viable sans cet espace de confiance, fondé sur un cadre commun garantissant à la fois l’urbanisation, l’interopérabilité, et la sécurité des systèmes numériques d’échanges, de partage et de traitement des données. Ce cadre commun, c’est ce qui permet par exemple à des médecins d’échanger ou partager sous une forme lisible par tous, exploitable par leurs logiciels et intégrables dans un seul et même dossier patient dématérialisé des résultats d’analyse produits et transmis par un laboratoire de biologie médicale. Ce cadre commun, c’est ce qui permet aussi à tous les acteurs appelés à traiter de la donnée de santé à caractère personnel de respecter, sur un pied d’égalité et selon des modalités transparentes, les règles garantissant aux citoyens la préservation de leur intimité et de leurs droits fondamentaux.
Soutenir les innovations créatrices de valeur, et adapter le cadre de régulation
Pour créer de la valeur collective, innovation et régulation doivent donc se fertiliser l’une l’autre. C’est le principal défi que la transformation numérique pose aux pouvoirs publics : à la fois soutenir les innovations créatrices de valeur, et adapter le cadre de régulation aux nécessités de leur diffusion dans des conditions garantissant l’efficience de la dépense publique, la pertinence des politiques de santé et la préservation des droits des citoyens.
Aux prémices de cette année 2018, la question qui se pose à tous les acteurs dépasse donc les enjeux de la e-santé. Elle franchit aussi les frontières de la sphère publique pour associer l’ensemble des forces vives et des parties prenantes au système de santé, qu’elles soient privées ou publiques, entrepreneuriales ou citoyennes. Au fond, qu’est-ce qu’une bonne régulation ? Qu’est-ce qu’une bonne politique de soutien à l’innovation ? Sans cesse, et plus encore depuis l’accélération numérique, il nous faut chercher le bon équilibre entre contrainte et liberté. Un équilibre acceptable parce qu’il reste ancré dans nos valeurs, notamment l’accès aux soins pour tous. Un équilibre efficace, parce qu’il tend vers plus de création de valeur et plus d’efficacité dans la prise en charge des personnes et l’allocation de ressources. Cette tension reflète à la fois nos grands principes démocratiques et l’image qu’une société se fait d’elle-même.
Michel Gagneux, Directeur de l'ASIP Santé
Le 7 février 2018